Mark Alizart - L'informatique céleste

Titre : L'informatique céleste
Auteur : Mark Alizart
Date de publication originale : 2017

Quand IBM a cherché à introduire le mot "computer" en France, dans les années 1950, le philologue Jacques Perret a eu l'idée de remettre au goût du jour un vieux mot latin, "ordinateur", qui désignait au Moyen Âge une qualité que les Pères de l'Eglise attribuent à Dieu - Deus Ordinator - signifiant "Dieu ordonnateur". Ce faisant, il a aussi bien cerné la compétence technique de ces nouvelles machines que leur vocation messianique. L'ordinateur ne peut pas être réduit à un simple outil. L'informatique irrigue la vie, à laquelle elle fournit un programme. Elle donne forme à la matière, à son niveau le plus élémentaire. Elle sculpte nos pensées et notre conscience. Aussi bien emporte-t-elle une nouvelle ontologie, une nouvelle politique et même une nouvelle spiritualité. En elle s'accomplit la promesse d'une réconciliation entre les mots et les choses, les vivants et les morts, les humains et les non-humains. Martin Heidegger affirmait à la fin de sa vie que seul un dieu pouvait désormais nous sauver. Mais c'est l'informatique qui sauvera le monde.

• And the Automatic Computer said : LET THERE BE LIGHT !
  - And there was light.
  "The Last Question"
  Auteur : Isaac Asimov
  

Mark Alizart a écrit:Le devenir "devient" lui-même autre chose : l'Être-là, puis la chose, qui se détermine en repoussant son autre, puis en refusant de se définir, au profit de sa limite, puis qui transcende sa limite pour devenir infini, et transcende le mauvais infini pour devenir un infini véritable, libre, mobile, en dialogue avec l'autre, infini qui s'offre ensuite à la quantité, espace et temps, donc à la mesure, puis au rapport, à la relation, et donc à la relation réflexive...

p 81

Mark Alizart a écrit:Il y a de la pensée dans l'Être, Être et pensée sont le même, pour parler comme Parménide. (...) C'est l'informatique qui réalise le programme métaphysique de dépassement des dualismes issus de la pensée classique mécaniste. C'est elle qui réalise le dépassement de l'anthropocentrisme que Heidegger appelait de ses voeux. Si la vie est informatique, si la matière même est faite d'information, en effet, il n'y a plus de différence entre l'âme et le corps, entre l'homme et la nature, entre les mots et les choses. L'univers pense et, inversement, la pensée est, elle agit.

Loin d'être un outil à notre disposition, uen chose, une machine, l'informatique est un milieu, notre milieu, le milieu qu'est le monde, et qui se produit lui-même, à travers nous. Un nouvel holisme est donc rendu possible par l'informatique, une nouvelle mécanique céleste, ou plutôt, une "informatique céleste", une nouvelle articulation des étants de ce monde, reliés les uns aux autres par leur commune nature informationnelle.

P 67-68